Sept. 11, 2025

La nuit de Solna : les Bleus frôlent l’Amérique en 1993

Suède - France 1993 : L'Égalisation Qui a Fait Basculer Toute une Campagne

Stockholm, 22 août 1993. En ce soir d’été, l’équipe de France de football pense avoir fait un grand pas vers la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Face à la Suède, concurrent direct, les Bleus arrachent un match nul 1-1 après avoir longtemps cru à la victoire. Gérard Houllier, le sélectionneur, exulte : il estimait qu’un nul leur donnait 70 % de chances de qualification, et une victoire 90 %. Quelques minutes ont pourtant manqué à la France pour s’offrir un ticket quasiment assuré pour l’Amérique… Retour sur ce match au goût doux-amer, tournant d’une campagne qualificative finalement tragique.

Contexte : la confiance avant l’orage

En août 1993, l’équipe de France est en pleine reconquête. Après un début de qualifications laborieux un an plus tôt, les Bleus de Gérard Houllier ont enchaîné les succès et redressé la barre. Cantona, Papin, Deschamps, Blanc et consorts ont redonné des couleurs à une sélection traumatisée par l’échec de l’Euro 92. Avant d’affronter la Suède à Stockholm, la France partage la première place du groupe 6 européen avec son adversaire du soir. L’enjeu est de taille : en cas de bon résultat à l’extérieur, la route vers le Mondial américain serait presque dégagée. Houllier ne cache pas son optimisme : selon lui, « un match nul nous qualifierait à 70 %, une victoire à 90 % ». Le nul 1-1 concédé contre ces mêmes Suédois lors de l’Euro 1992, sur cette pelouse du Rasunda Stadion, semble loin – les Tricolores ont parcouru du chemin en quatorze mois et abordent ce rendez-vous décisif avec assurance.

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Rêve bleu à Stockholm : Sauzée frappe, Dahlin douche l’euphorie

Dimanche 22 août, devant 30 000 spectateurs à Solna, les deux équipes livrent un duel tendu. La France, privée de quelques cadres en défense, résiste bien aux assauts scandinaves grâce à une solidarité sans faille. Au fil des minutes, la possibilité d’un exploit grandit. À la 76^e minute, Franck Sauzée fait basculer la rencontre : le milieu français décoche l’une de ses fameuses frappes lointaines. Des 20 mètres, le ballon fusille le gardien suédois Thomas Ravelli et finit au fond des filets. 1-0 pour la France. Ivres de joie, Sauzée et ses coéquipiers célèbrent le but en courant vers leur banc. Houllier laisse éclater son bonheur. À cet instant, comme l’écrira Le Monde, « l’Amérique n’était plus qu’à un quart d’heure de jeu » Les Bleus touchent au but : une victoire en Suède leur ouvrirait en grand les portes du Mondial.

Mais le scénario va cruellement basculer. Les Suédois, poussés par leur public, jettent toutes leurs forces dans la bataille. La défense française recule et finit par céder à trois minutes du terme. À la 87e minute, sur une action où la ligne bleue se désorganise d’un rien, l’attaquant Martin Dahlin surgit. Partant à la limite du hors-jeu et oublié par Alain Roche, Dahlin file dans le dos de la défense, devance la sortie de Bernard Lama et égalise d’un tir du droit (1-1). La clameur du stade de Stockholm répond au silence hébété du camp français. En l’espace de dix minutes, l’euphorie a fait place à la frustration. Les Bleus étaient « passés tout près » d’un succès de prestige, comme le soulignera sobrement L’Équipe le lendemain. Rejoints au score in extremis, ils doivent se contenter du nul. Sur le moment, pas de regrets excessifs : ce point pris à l’extérieur est un excellent résultat. « Ce résultat satisfait les Français », note à chaud Le Monde, soulignant qu’avec ce nul « la Suède et la France restent en tête du groupe 6 » des qualifications. La France a tenu en échec une redoutable Suède (demi-finaliste de l’Euro 92 et future demi-finaliste, et troisième, de la World Cup américaine) et garde son destin en main.

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Euphorie d’après-match : « Ciel bleu sur l’Amérique »

L’état d’esprit au sein de l’équipe de France et des médias, au sortir de ce 22 août, est résolument optimiste. Deux jours après le match, Gérard Houllier affiche sa satisfaction dans L’Équipe. Il félicite ses joueurs pour leur solide prestation à Stockholm et se montre confiant pour la suite. Aux yeux du sélectionneur, « la qualification sera assurée dès le 8 septembre à Tampere contre la Finlande ». Ce jour-là, en effet, les Bleus doivent affronter la modeste Finlande et une victoire les mettrait pratiquement à l’abri. Houllier n’est pas le seul à y croire dur comme fer. La presse française s’emballe aussi : le mardi suivant, France Football titre en une « Ciel bleu sur l’Amérique », comme pour annoncer un horizon dégagé vers les États-Unis. Le magazine célèbre le but de “Francky” Sauzée et le point ramené de Suède, synonyme d’avenir radieux. L’Équipe, de son côté, reste un peu plus mesurée en titrant « La France est passée tout près », insistant sur la victoire envolée de peu. Néanmoins, le message général est clair : les Bleus ont fait le plus dur. Ce nul héroïque en terre suédoise est perçu comme le tournant positif de la campagne, celui qui doit les mener au Mondial 94. « Frankie goes to Hollywood », s’amuse même un quotidien dans un jeu de mots, sous-entendant que Franck Sauzée a envoyé la France tout droit vers le rêve américain.

Sur le terrain, les joueurs partagent cet optimisme prudent. Laurent Blanc, buteur en Finlande quelques jours plus tard, racontera que personne n’imaginait alors un échec. Le 8 septembre 1993, comme prévu, la France l’emporte 2-0 (avec un deuxième but marqué par Jean-Pierre Papin) à Tampere contre la Finlande, confortant sa place de leader du groupe. À ce moment-là, il ne fait quasiment plus de doute que les Tricolores verront l’Amérique l’été suivant. Houllier et ses hommes pensent avoir laissé le plus difficile derrière eux : « le plus dur était fait », écrira-t-on plus tard de cette campagne bien engagée.

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Le tournant d’un fiasco : de Solna à la désillusion

Avec le recul, ce match nul arraché à Stockholm apparaît comme un faux bonheur et un tournant cruel. Sur le moment, il était synonyme d’espoir, mais il a en réalité précédé la plus grande désillusion du football français moderne. La suite est connue : malgré ce « précieux match nul en Suède », il manquait aux Bleus un petit point pour valider leur billet, un seul point à glaner sur les deux derniers matchs à domicile. Or, l’équipe de France va complètement s’effondrer à l’automne. Minée par un excès de confiance et des tensions internes, elle saborde son avantage lors des deux ultimes rencontres. Le 13 octobre, contre toute attente, la France s’incline 2-3 face à Israël au Parc des Princes, encaissant deux buts aux 83e et 93e minutes. Cette défaite à domicile face au petit poucet du groupe, battu par ces mêmes Bleus 0-4 huit mois plus tôt, met un coup d’arrêt brutal à la dynamique bleue. Un mois plus tard, le 17 novembre 1993, survient le drame sportif : la défaite 1-2 face à la Bulgarie, encore au Parc des Princes, sur un but d’Emil Kostadinov à la dernière seconde du temps réglementaire. En l’espace de quelques semaines, l’impensable se produit – les Bleus laissent échapper une qualification qui leur tendait les bras. Houllier, accablé, assumera ce double échec retentissant (« un des plus gros fiascos de l’histoire des Bleus » dira-t-on) et démissionnera huit jours après la défaite contre la Bulgarie.