L’été 1984 est un moment suspendu. Dans une France bercée par Encore un matin, Somebody’s Watching Me ou Toute première fois, l’Euro remporté par les Bleus a transformé l’atmosphère du pays. Les rues désertées, l’odeur chaude de l’asphalte en fin de journée, les soirées d’août dans les campings entre néons fatigués et transistors grésillants composent un décor d’insouciance. Et partout, malgré la réalisation chaotique de la télévision américaine, on veille tard pour suivre les Jeux olympiques de Los Angeles. C’est dans cette ambiance que la France aborde sa demi-finale face à la Yougoslavie.

Le 8 août 1984, au Rose Bowl de Pasadena, les Bleus disputent seulement leur troisième demi-finale olympique, les précédentes datant de 1908 et 1920. Une autre ère. Cette fois, l’équipe d’Henri Michel, mélange de joueurs prometteurs et de talents laissés de côté par les A, peut rêver d’or, quelques semaines à peine après le triomphe de l’Euro.

Ce soir-là, à quelques encablures du stade, Pierre Quinon décroche l’or à la perche pendant qu’Alain Vigneron monte aussi sur le podium. Tout semble sourire à la France.

Face aux Bleus se dresse une Yougoslavie redoutable. Elle vient d’humilier la RFA 5-2 et aligne neuf joueurs présents à l’Euro. Daniel Xuereb la décrira plus tard comme « la meilleure équipe des Jeux ». William Ayache, toujours prompt à l’humour, se souvient qu’ils « avaient un boulard énorme ». Jean-Christophe Thouvenel insiste sur leur ambition : représenter l’Europe de l’Est après le boycott des pays communistes. Pour Dominique Bijotat, c’est « la réunion de beaucoup de talents ». Rien de surprenant : Katanec, Baždarević, Stojković, Cvetković et Ivković sont déjà des noms qui comptent en Europe.

Privée de José Touré, blessé, la France attaque pourtant la rencontre avec une justesse remarquable. Bijotat ouvre le score après une longue course conclue avec sang-froid, avouant qu’il a pensé à ses parents devant la télévision, malgré le décalage horaire. Jeannol double la mise sur un coup franc puissant. En quinze minutes, la France mène 2-0. Pasadena est abasourdi.

Comme souvent dans les grandes épopées françaises, le match bascule. Thouvenel sort blessé après un tacle violent. Sénac s’effondre sur un choc tête contre tête et part à l’hôpital. L’arbitre mexicain multiplie les cartons. La tension yougoslave monte d’un cran, jusqu’à ce que Nikolić frappe Jean-Philippe Rohr : carton rouge. À onze contre dix, tout semble favorable aux Bleus.

Mais la Yougoslavie revient. Cvetković réduit l’écart, puis Deverić égalise, malgré une action confuse où le ralenti laisse entrevoir un but du bras. Ayache lâchera plus tard : « Là, ça part un peu en couille. » Les Bleus souffrent. « On a galéré, on a souffert », dira Xuereb. Pourtant, l’équipe reste soudée : « On était une équipe de copains. »

Cvetković finit lui aussi expulsé après un coup de poing sur Rohr. À onze contre neuf, la France peine pourtant à tuer le match. Thouvenel évoquera plus tard « un coup de pouce du destin », comme un signe que cette équipe était faite pour aller au bout.

La prolongation libère enfin les Bleus. Guy Lacombe surgit et marque. Ivković, gardien-libo avant l’heure, joue très haut pour relancer son équipe. Mais ce choix s’avère fatal. Sur une montée aventureuse, il perd un ballon que Bijotat contre. Le cuir arrive à Xuereb qui marque dans le but vide. « On savait qu’ils ne reviendraient pas », dira-t-il.

Bijotat signe ce soir-là un match colossal, que Michel Hidalgo commente avec un enthousiasme rare. Pour lui, « c’était l’essence même du jeu ». Et pour Thouvenel, cette victoire est un signe presque mystique : « Un coup de pouce du destin. »

Cette demi-finale est aussi le point de départ d’une revanche. Ivković, Baždarević, Katanec, Cvetković et le jeune Stojković, entré en jeu ce soir-là, retrouveront les Bleus en qualifications pour le Mondial 1990. Cette fois, ils briseront le cycle français ouvert en 1984 et élimineront la France. Comme si Pasadena n’était qu’un premier acte flamboyant.