Dec. 12, 2025

France 4 - Yougoslavie 2 : Une Mythique Demi-Finale Olympique

France 4 - Yougoslavie 2 : Une Mythique Demi-Finale Olympique

Un Été 1984 en Or

À l’été 1984, la France respire autrement. Dans les voitures qui descendent vers la mer, Encore un matin passe en boucle à la radio, tandis que le Top 50 consacre Somebody’s Watching Me de Rockwell, immédiatement suivi par Toute première fois de Jeanne Mas, déjà hymne générationnel. Dallas et Champs-Élysées rythment les semaines. Cette douceur diffuse, presque insouciante, accompagne un pays qui vient de se découvrir vainqueur à l’Euro, comme si quelque chose s’était enfin déplacé dans l’imaginaire collectif. C’est un été aux rues désertées, à l’odeur chaude de l’asphalte en fin de journée, aux longues soirées d’août dans les campings, entre néons fatigués, transistors grésillants et cette impression diffuse que le temps, pour une fois, accepte de ralentir.
La France du football n’est plus seulement celle des promesses et des regrets élégants : elle a appris à conclure, à tenir, à gagner. Août 1984, ce sont aussi les nuits blanches, celles passées à regarder les Jeux olympiques de Los Angeles, entre exploits français et bavures de la télévision américaine ABC, chargée de la production de l’événement. Qu’il est beau, cet été… C’est dans cette atmosphère unique que se joue la demi-finale olympique face à la Yougoslavie, prolongement naturel d’une bascule historique, bien au-delà du terrain.

Troisième Demi Olympique

Le 8 août 1984, lors d’une soirée chaude au Rose Bowl de Pasadena, l’équipe de France dispute la troisième demi-finale olympique de son histoire. En France, il est plus de 4 heures du matin. Les deux précédentes remontent aux grandes épopées d’avant-guerre, en 1908 et 1920 — autant dire une éternité. Un temps où le football se jouait en shorts longs, avec des ballons lourds comme des enclumes et des chaussures montantes qui semblaient davantage taillées pour les tranchées que pour les pelouses.

Cette fois, le décor est californien, l’époque est celle de l’après-Euro 84 triomphal, et la génération montante du football français est à deux matches d’un exploit inédit : offrir au pays sa première médaille d’or collective aux Jeux olympiques, quelques mois à peine après l’Euro du maestro Michel Platini. Qui aurait cru que cette équipe montée par Henri Michel, composée de joueurs de talent oubliés par les A et de jeunes pousses prometteuses, irait aussi loin ? Comme il est loin, ce match de barrage miraculeusement gagné en Allemagne, ou ce stage en Chine dans des conditions rocambolesques.

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Plus tôt dans la soirée, à quelques encablures de Pasadena, Pierre Quinon a remporté l’or à la perche, Alain Vigneron complétant le podium à la troisième place.

Des Yougoslaves en Épouvantail

Face aux Bleus d’Henri Michel se dresse ce que beaucoup considèrent déjà comme le gros morceau du tournoi. La Yougoslavie arrive en demi-finale auréolée d’un quart de finale spectaculaire, où elle a balayé la RFA sur le score sans appel de 5-2. Une démonstration qui l’a propulsée au rang de favorite.
« C’était la meilleure équipe de ces Jeux olympiques, avec des joueurs haut de gamme », dira Daniel Xuereb sur le Podcast des Légendes. « Du très haut niveau. »

William Ayache, le latéral des Bleus formé à Nantes raconte avec humour:

«  Les "Yougos étaient favoris des Jeux Olympiques parce qu'il y avait sept joueurs qui avaient participé à l'Euro (NDLR: neuf en fait!). On les connaît, ils avaient un boulard comme ça ! (rires). »

À DÉCOUVRIR AUSSI : le premier épisode du podcast consacré à William Ayache, "Un Pied Noir en Or".


Pour Dominique Bijotat : « C’était la réunion de beaucoup de talents. » Enfin, pour l'ancien hippie Jean-Christophe Thouvenel : « La Yougoslavie était une très, très grosse nation. Ils étaient ambitieux. La Yougoslavie s’est dit que c’était l’occasion pour eux de peut-être monter sur la première place du podium et d’être un peu le représentant de l’Europe de l’Est », après le boycott de la compétition par les pays communistes.

À DÉCOUVRIR AUSSI : le deuxième épisode du podcast consacré à Jean-Christophe Thouvenel, "Pro Jusqu'au Bout".

Cette Yougoslavie n’est pas une surprise. Neuf des onze titulaires ont participé à l’Euro 1984, et cinq d’entre eux ont déjà affronté la France quelques semaines plus tôt à Saint-Étienne : Branko Miljuš, Ljubomir Radanović, Srečko Katanec, Mehmed Baždarević et Stjepan Deverić. Une continuité, une cohérence, et un vivier exceptionnel, où émergent déjà de futures figures majeures du football européen : Dragan Stojković, Borislav Cvetković, Tomislav Ivković.
La France, elle, doit composer sans José Touré, blessé contre l’Égypte. Mais elle ne doute pas. Bien au contraire.

Un départ parfait, presque irréel

Les Bleus entament la rencontre avec une justesse tactique et une intensité remarquables. « On avait bien étudié le jeu des Yougoslaves, et on a su mettre en évidence nos qualités », expliquera plus tard le célèbre moustachu de l’équipe. En quinze minutes à peine, la France frappe deux fois.

Le premier coup est porté par Dominique Bijotat, qui transperce le terrain sur une longue course depuis le milieu avant de conclure avec sang-froid.
« Je fais une course encore un peu plus longue… je suis tellement content, parce que je me dis “ça y est, le truc est lancé”. […] Je sais que mes parents regardaient, vu le décalage horaire. J’ai eu cette seconde où je me dis qu’ils sont là-bas. »

À DÉCOUVRIR AUSSI : le premier épisode du podcast consacré à Dominique Bijotat, "Berry Good à LA".

Le second survient sur coup franc : Philippe Jeannol déclenche une frappe lointaine et puissante qui surprend Ivković. 2-0. Pasadena est médusé. La Yougoslavie doute.
Mais cette demi-finale ne pouvait être un match ordinaire.

Un scénario à la française

Comme Séville en 1982 ou Marseille contre le Portugal en 1984, cette rencontre bascule dans le chaos contrôlé, le combat nerveux, l’épreuve de caractère. L’arbitre mexicain Antonio Márquez Ramírez multiplie les avertissements, principalement à l’encontre des Yougoslaves, dont la tension monte à mesure que le temps passe.

Jean-Christophe Thouvenel doit sortir dès la 20e minute après une faute de Baljić. « Je me fais cartonner », dit-il sur le Podcast des Légendes, confessant avoir appris plus tard par des Yougoslaves que ce n’était pas dû au hasard.
Juste avant la pause, Didier Sénac subit un violent choc tête contre tête avec Cvetković. Il ne se relèvera pas et sera conduit à l’hôpital. Pour lui aussi, le tournoi s’achève là.

La France entame la seconde période avec une défense totalement recomposée. Michel Bibard et Jean-Louis Zanon viennent renforcer une arrière-garde déjà éprouvée.
Côté yougoslave, les nerfs lâchent. Jovica Nikolić assène un coup de poing à Jean-Philippe Rohr : carton rouge, dès la 49e minute.

À onze contre dix, tout semble réuni pour une fin de match maîtrisée. Et pourtant…

La révolte yougoslave

Malgré l’infériorité numérique, la Yougoslavie revient. À la 63e minute, Borislav Cvetković réduit l’écart en reprenant habilement un centre dans la surface française. Dix minutes plus tard, Stjepan Deverić égalise, au terme d’une action confuse. L'arbitre voit une tête mais le ralenti semble indiquer que Deveric marque en fait du bras droit. Qu'importe, deux partout, balle au centre, tout est à refaire. Que n'aurait-on entendu si la France avait perdu sur cette action litigieuse... Pour Ayache, encore avec humour, « ça part un peu en couille (rires). »

Les Bleus souffrent. « On a galéré pour le gagner », reconnaîtra Xuereb. « On a souffert. »
Mais là où la Yougoslavie perd le contrôle, la France reste soudée. « On était une équipe de copains, on a bataillé jusqu’à la dernière minute. »

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Cvetković, lui aussi, finira par craquer, expulsé pour un coup de poing sur Jean-Philippe Rohr.
Pour Thouvenel : « Ils avaient dégoupillé complet ! Ils avaient le lobbying des pays de l’Est derrière eux », et une sacrée pression. « Pour eux, c’était vital. »

À onze contre neuf, la France peine pourtant à faire la différence et doit s’en remettre à la prolongation.
Mais même lorsque les Yougoslaves reviennent à deux partout, « on s’est regardés, mais il n’y a eu aucune inquiétude », confiera Dominique Bijotat au Podcast des Légendes.

Ivković libéro, Xuereb libérateur

Après cinq minutes de jeu supplémentaire, Guy Lacombe surgit et redonne l’avantage aux Bleus sur un ballon mal repoussé. À 3-2, la Yougoslavie jette ses dernières forces dans la bataille. Tomislav Ivković, gardien moderne avant l’heure, quitte de plus en plus sa ligne et se transforme en libéro, jouant très haut pour soutenir les attaques de son équipe.

Mais ce choix audacieux va sceller le destin du match.

Dans la toute dernière minute, Ivković est à plus de trente mètres de ses buts. Il pousse trop loin son ballon. Dominique Bijotat surgit et le contre. La balle arrive jusqu’à Daniel Xuereb, qui frappe depuis l’aile droite. Le ballon roule lentement dans le but, malgré le retour désespéré d’un défenseur.
4-2. Le but de la délivrance. « On sait qu’ils ne pourront plus revenir », dit Xuereb.

Pour Bijotat, auteur d’un match magistral qui vaut aux commentateurs Bernard Père et Michel Hidalgo une avalanche de compliments : « On les a pliés. Cette force-là, c’était magnifique. C’était l’essence même du jeu pour moi. »

Pour Thouvenel, les Bleus ont eu « un coup de pouce du destin », « un signe » montrant que cette médaille d’or était pour eux.La France est en finale. Elle est déjà assurée d’une médaille. Et elle rêve désormais d’or pour, comme le chanterait Jeanne Mas, « une toute première fois ».

Une revanche différée

Ce que personne ne sait encore à Pasadena, c’est que plusieurs acteurs de cette demi-finale n’ont pas fini leur histoire avec les Bleus. Tomislav Ivković, Mehmed Baždarević, Srečko Katanec, Borislav Cvetković et le jeune Dragan Stojković, entré en jeu ce soir-là, porteront plus tard les couleurs de la Yougoslavie dans une autre bataille décisive.

Quatre ans plus tard, lors des éliminatoires de la Coupe du monde 1990, ce noyau yougoslave prendra sa revanche. En écartant la France de la course à l’Italie, ils refermeront brutalement le cycle doré ouvert en 1984. Comme si Pasadena n’avait été qu’un premier acte, flamboyant mais inachevé.

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Une pierre angulaire de l’histoire des Bleus

La demi-finale France–Yougoslavie des Jeux olympiques de 1984 reste l’un des matches les plus fous et les plus fondateurs du football français moderne. Par son scénario, par sa charge émotionnelle, par la qualité exceptionnelle de ses protagonistes, elle incarne cette période où la France apprend à gagner autrement : par la solidarité, la maîtrise nerveuse et une forme de maturité collective.

Ce soir-là, les Bleus ont fait disjoncter un adversaire immense. Mais ils ont aussi, sans le savoir, forgé des rivalités et des destins qui allaient les rattraper quelques années plus tard.
C’est aussi cela, la grandeur de ces matches-là : ils ne s’achèvent jamais vraiment au coup de sifflet final.